Textes et Fleurs

Devoir de vacances

Lors de la dernière séance de mon groupe d'écriture en juin, nous avons eu "un devoir de vacances" pour la rentrée : chacun devait écrire un texte à écrire, de la longueur qu'il souhaitait, avec les contraintes suivantes :

 

Paragraphe

Période

Couleur

Ambiance

Animal

Personnage

Lieu

Objet

1

Nuit

Bleue

Inquiétante

Au choix 1 ou +

Au choix

1 ou +

Maison

Livre

2

Midi

Rouge

Etouffante

Au choix 1 ou +

Au choix

1 ou +

Pinède

Parapluie

3

Matin

Verte

Gaité frivolité

Au choix 1 ou +

Au choix

1 ou +

Train

Banane

4

Minuit pile

Blanche

Sérénité

Au choix 1 ou +

Au choix

1 ou +

Clocher église

Oeuf

5

1 an après

Jaune

Colère

Au choix 1 ou +

Au choix

1 ou +

Boite de nuit

Passeport

 

Il a été amusant de voir à quel point les textes des uns et des autres ont été différents. Voici mon "devoir" ; j'ai pris un plaisir fou à l'écrire, même si cela n'a pas été si simple que cela. Je suis sympa : j'ai mis un coup de fluo sur les consignes au fur et à mesure que je les ai respectées

 

I

 

C’était un vieux célibataire qui vivait seul dans une ancienne bergerie isolée au bout d’un hameau ; seul, pas réellement, car il avait un compagnon à quatre pattes, ou plutôt une compagne, une chatte de gouttière nommée Mademoiselle. Quand Alexandre s’installait dans son fauteuil pour lire, Mademoiselle sautait d’un bond sur son épaule et se couchait confortablement, l’arrière-train débordant sur le haut du dossier, jusqu’à ce qu’Alexandre ait fini sa lecture et se lève. Mademoiselle devait être la chatte la plus savante de la terre avec tout ce qu’elle avait lu ainsi, par-dessus l’épaule de son maître. On ne savait pas toujours qui des deux s’assoupissait le premier lors de ces lectures vespérales, mais le matin les trouvait souvent tendrement endormis, pelotonnés l’un contre l’autre dans le fauteuil qui en avait vu bien d’autres, le livre glissé à terre, la page irrémédiablement perdue. Mais cette nuit-là, ce ne fut pas le cas : juste à minuit sonné, au moment d’aller se coucher, Mademoiselle sur ses talons, Alexandre entendit un bruit bizarre, indéfinissable, entre cris humains et hurlements à la mort, à vous faire dresser les cheveux sur la tête, pour qui en avait bien sûr, car peut-être ai-je oublié de vous dire qu’Alexandre était chauve ; et lui qui n’était pas d’un naturel peureux prit pourtant son fusil pour aller voir ce qui se passait, bien que le bruit en question se soit arrêté tout seul, semble-t-il, au bout de vingt secondes ; dès le premier instant Mademoiselle avait doublé de volume, ses poils tout hérissés, et s’était courageusement réfugiée sous l’édredon où elle resta bien à l’abri jusqu’au retour de son maître, lequel n’avait rien entendu de plus dehors, et faute d’éclairage public dans le haut de ce hameau désolé, n’avait rien vu non plus, sinon un magnifique ciel bleu intense, où il aimait à repérer les constellations qu’il connaissait. Il rentra dans la maison, alla se coucher, mais ferma à clé, signe chez lui d’une inquiétude certaine.

 

 

II

 

Le lendemain, dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne, après un bol de café pour l’un, une tasse de lait pour l’autre et une toilette de chat pour les deux, Alexandre sortit faire un tour pour essayer de trouver l’explication des bruits dela nuit. Le maquis commençait à l’angle de la maison ; il était encore en fleurs, mais commençait déjà en ce début de mai à souffrir de la sècheresse et de la chaleur ; aussi exhalait-il ses parfums envoûtants de myrte, d’arbousier et d’immortelles dont Alexandre aimait à s’enivrer. Il y pénétra, disparut très vite dans la végétation ; il s’enfonça même jusqu’à une vieille source chaude que peu de corses connaissaient, toujours à la recherche d’un indice, en bon chasseur qu’il était, mais à part quelques traces de sanglier et une silhouette au loin affairée à poser un collet, lui sembla-t-il, rien. Il ressortit du maquis sur le coup de midi dégoulinant de sueur. Il croisa au retour Marguerite Desmarais, cette parisienne, « de Neuilly », précisait-elle, qui s’était installée avec son mari au village il y avait une bonne quinzaine d’années ; on l’appelait « La Capitaine », depuis que son mari était mort. Alexandre l’appelait la Mondaine , mais uniquement devant Mademoiselle ; il savait, lui, qu’elle venait des trottoirs de Pigalle plutôt que des belles avenues de Neuilly ; elle s’appelait alors Margot, mais il avait toujours eu la délicatesse de taire qu’il l’avait intimement connue lors d’une virée parisienne entre légionnaires. Marguerite aurait voulu se retirer dans le Midi à la retraite de son mari ; aussi lorsque celui-ci, un ancien capitaine au long cours, avait acheté la grande propriété des Luciani en Corse du Sud, Marguerite avait exigé pour s’y installer qu’il transformât la vieille plantation d’oliviers en pinède ; ainsi Marguerite pouvait-elle rêver à la Provence dès que la chaleur étouffante des premiers beaux jours faisait chanter les cigales. Depuis qu’ils étaient arrivés, elle portait toujours pour se protéger du soleil une horrible ombrelle rouge, quand les autres femmes du village se coiffaient d’un foulard ou s’abritaient sous un parapluie noir. Mais pour l’heure, Alexandre se contenta comme à son habitude de saluer Marguerite qui s’approchait de lui, prête semble-t-il à engager la conversation ; Alexandre s’étonna de la voir s’enfoncer dans le maquis à cette heure, mais il avait hâte de boire frais et rentra prendre son repas : une soupe de châtaignes et une large tranche de pain sur laquelle il étalerait du bruccio. C’est vrai qu’il était un peu sauvage, Alexandre, il parlait peu, juste pour l’essentiel, il n’allait pas au café, ne faisait pas de politique, ne se liait pas, sortait de chez lui uniquement pour acheter son journal et faire ses courses, oh, jamais bien grand-chose d’ailleurs ; ah si, j’allais oublier, il ne manquait jamais un enterrement, c’était d’ailleurs la seule occasion où il se rendait à l’église.

 

Après son repas de midi, Alexandre fit une sieste, d’autant plus longue qu’il avait marché plusieurs heures le matin ; il voulait être en forme pour veiller un peu plus tard que de coutume ce soir-là ; il ne souhaitait pas être surpris par les bruits de la nuit passée, s’ils retentissaient de nouveau.

 

Aussi en fin d’après-midi, se rendit-il dans son jardin, à l’arrière de la maison, après un repas léger. Il commença par arracher une mauvaise herbe ça et là au milieu des jeunes plants de salade, qu’il donna à ses lapins, supprima les gourmands de ses tomates, rattacha sa vigne et quand il fit trop sombre pour continuer à travailler, il s’installa dans une chaise longue et guetta l’arrivée des étoiles, accompagné de Mademoiselle, lovée sur ses genoux. Il distingua peu à peu le petit chariot, le grand chariot et quand la nuit fut encore plus sombre, il put contempler la voie lactée … et puis plus rien car il s’endormit avec Mademoiselle en petite bouillotte au creux de ses bras.

 

 

III

 

C’est justement Mademoiselle qui réveilla Alexandre le lendemain matin en sautant précipitamment à terre, elle avait repéré une mante religieuse sur les salades et s’amusait avec elle, comme tous les chats qui sont bien nourris mais ont gardé leur instinct de félin. Alexandre observait, amusé, la scène et était tout guilleret de cette nuit passée à la belle étoile qui lui rappelait les camps de scouts de sa jeunesse et plus tard sa vie de berger au milieu de son troupeau. La bestiole verte se défendait de ses pattes avant qu’elle lançait agressivement contre la chatte, tandis que cette dernière était toute à son jeu et ne semblait pas comprendre que la mante religieuse ne jouait pas, mais combattait pour sa survie. Il était déjà 9 heures du matin, c’est ce qu’Alexandre déduisit en entendant passer au loin le train qui allait chaque matin à Bastia. Mademoiselle ayant finalement dévoré l’insecte, et comme il était tard, Alexandre rentra pour sa toilette et déjeûna d’une banane attrapée dans la coupe à fruits qui trônait sur la table en châtaignier de la pièce à vivre. Puis il alla comme chaque matin acheter son journal et en chemin rencontra Marguerite qui sortait du maquis avec un panier qui semblait vide. Alexandre fit mine de s’avancer pour la saluer et tenter de voir au fond de son panier si elle avait trouvé des champignons, mais la maligne fit celle qui n’avait rien vu et pressa le pas. Alexandre estima qu’il n’avait pas assez plu ces derniers temps et qu’elle n’avait pas dû trouver grand-chose, mais cela l’intrigua tout de même.

 

Après cette matinée, la journée reprit son cours normal, Alexandre se promit toutefois d’aller un prochain matin faire un tour là où il savait trouver des girolles très tôt dans la saison, et pourquoi pas dans quelques jours, puisqu’il s’était mis à pleuvoir sur le coup de midi et que le soleil avait de nouveau brillé dans l’après-midi.

 

Et c’est ce qu’il fit quelques jours plus tard, tôt le matin. Il ne trouva pas de girolles mais de jolis cèpes qu’il cuisina aussitôt rentré. Toutefois, il avait remarqué des traces qui l’avaient étonné là où il avait cru voir un braconnier au lendemain des cris nocturnes d’’il y avait quelques jours ; il avait vu de l’herbe écrasée sur une belle place, comme si une personne avait dormi à terre et il avait également remarqué un gros collet mal dissimulé. Or Alexandre connaissait l’art du braconnage et savait qu’aucun braconnier, si novice soit-il, n’aurait aussi mal posé ses pièges.

 

Le vieux garçon se rendit au village pour aller acheter son pain, il passa devant l’étal du boucher et ne vit pas la petite pancarte qu’y plaçait le boucher quand il avait du sanglier à vendre. Il acheta son journal comme à l’accoutumée et rentra ensuite chez lui la tête pleine de questions qui n’avaient pas trouvé de réponses. Il croisa une nouvelle fois Marguerite avec une toilette qu’il ne lui connaissait pas, mais qui surtout ne portait plus son horrible ombrelle rouge, ce qui ajouta à la perplexité d’Alexandre

 

 

IV

 

Pour la première fois depuis bien longtemps, Alexandre fut réveillé à minuit pile par le clocher de l’église qui égrenait ses douze coups. Il tenta de se rendormir, mais il n’y arriva pas, taraudé par les événements des jours passés qui étaient venus interrompre le cours bien régulier de sa vie de vieux célibataire. Voyant qu’il allait passer une nuit blanche, il cassa trois œufs, les battit et les jeta sur les cèpes qu’il avait réchauffés dans la poêle. Il avala son omelette et partit par un chemin qu’il utilisait parfois quand il était berger. A bout de trois heures de marche à belle allure où il aperçut quelques lièvres, il arriva sur un éperon rocheux qui dominait la mer au loin et lui permettrait de voir le lever du soleil sur les forêts en contrebas. Il s’installa, devina quelques pêcheurs qui prenaient la mer, et attendit ainsi que le calme de la nuit succède au matin naissant, quelques heures où il profita de paysages, de couleurs et de parfums admirables qui lui firent retrouver la sérénité qui n’aurait jamais dû le quitter, puis il remonta au village, paisible, heureux et ... fatigué.

 

 

V

 

C’est de nouveau le mois de mai, un mois de mai où l’or du soleil se mêle au jaune pâle des fleurs des tilleuls qui embaument déjà la paisible place du village. Il s’en est passé des changements en un an, le Maire a été battu aux élections, lui qui avait succédé à son père et en était déjà à trois mandats. La seule école du village a fermé, c’était peut-être d’ailleurs pour cela que le Maire avait été battu, alors que le pauvre homme s’était pourtant bien démené avec les parents d’élèves pour en empêcher la fermeture. Et puis Marguerite, la Capitaine, la Mondaine d’Alexandre, s’était remariée ; elle s’était remariée au village avec Dominique Luciani, le nouveau maire, un mariage que Marguerite et Dominique avaient voulu partager avec l’ensemble de la commune qui avait été invitée au repas servi dans la pinède, un mariage que l’un et l’autre avaient souhaité inoubliable, … et il le fut … malheureusement  : dès l’apéritif qui avait duré un peu trop longtemps peut-être, Antoine, le pharmacien, légèrement ivre, porta un toast aux nouveaux mariés, félicitant Marguerite d’avoir trouvé un imbécile pour l’épouser alors qu’il y avait un an tout juste elle se pâmait dans ses bras dans une boîte de nuit d’Ajaccio …et plus encore. Avant même que quelqu’un ait eu le temps de l’arrêter, il débita toute l’histoire : comment ils se donnaient rendez-vous la nuit dans le maquis, même qu’une nuit il s’était pris la jambe dans un collet de sanglier et était resté blessé sur place plusieurs jours, incapable de marcher. Et Marguerite qui venait en cachette des gens du village pour le soigner aux premières heures du jour, comment ils avaient peur qu’Alexandre découvre l’affaire, lui qui vivait à deux pas du maquis et s’y promenait si souvent. Quand Antoine eut fini de parler, on s’aperçut que Dominique avait disparu ; quand il réapparut le visage livide, un revolver à la main, il ne dit pas un mot, tira,  un seul coup, Marguerite s’écroula, puis Dominique prit le maquis, son chien aux basques, avant que quiconque ait eu le temps de réagir.

 

Quand la gendarmerie fut là, elle constata les faits, nota dans son mandat de recherche que le suspect était parti en tenue de cérémonie, avec sur lui une arme et son passeport.



01/10/2011
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